Minute philo, minute psycho ou comment le zéro déchet peut sauver la vie, voire l’améliorer.

J’ai été « élevée » par une femme consumériste et perverse narcissique. J’ai expérimenté l’insécurité constante, la perte de repères, la confusion des valeurs, la difficulté à faire des choix, l’impossibilité de me projeter dans l’avenir… J’ai très tôt appris à m’isoler, à m’individualiser et à consommer de l’instantané. C’est à la fois la réalité de ma génération qui a grandi dans les années 90, mais aussi une tentative de combler un manque de liberté et de bonheur. Mais le bonheur ne s’achète pas et le côté éphémère de ma consommation alourdissait à la fois ma poubelle et ma détresse – puisque aucun objet ne semblait me protéger. Alors j’attendais, un magazine féminin dans une main et un gobelet Starbucks dans une autre, j’attendais les prochaines soldes. Mais attendre d’être séduit·e par un nouveau produit marketing afin de mettre de la joie dans son caddie sa vie, c’est aussi vain que de chercher à être véritablement aimé·e par un·e pervers·e narcissique. Un rêve cauchemar sans fin.
Comment le zéro déchet m’a libérée
L’idée d’une vie zéro déchet m’a très vite séduite car elle répondait à plusieurs de mes envies en même temps : une vie simplifiée (et triée de ses déchets), une organisation optimisée, un impact allégé sur l’environnement et une forme de désobéissance civile (du moins, culturelle). Sans surprise, au delà des recettes DIY pratico-pratique, le zéro déchet est devenu un état d’esprit, un jeu, un mantra pour une nouvelle vie :
- REFUSER ce dont je n’ai pas besoin,
- RÉDUIRE le futile et l’inutile,
- RÉUTILISER/RÉPARER/RÉEMPLOYER les objets existants déjà sur Terre,
- RECYCLER ce qui n’est pas passé au travers des trois premiers R (remettre les matériaux dans le cycle de production),
- REVENDIQUER un changement de société.
A force de pratiquer cette méthode, ma démarche s’est liée à la psychologie. J’expérimentais ce que l’on appelle la symbiose ou la congruence, c’est à dire une union harmonieuse avec moi-même, un accord (presque) parfait entre ce que je dis, ce dont je rêve et ce que je fais. Dans le livre et les premiers posts de blog de Bea Jonhson (star du zéro déchet) elle raconte également que le zéro déchet va au delà de la simple poubelle de cuisine.

« Jeter », « se séparer », « se détacher », « donner ce que nous avons en trop » ou « ce dont nous n’avons pas besoin » apaise les mœurs, libère l’excédant et l’énergie créatrice. Voici ce que nous dit George Bataille comme a pu me l’apprendre Laurence Lacroix dans l’épisode 40 de l’émission radio Les Mouvements Zéro. En devenant zéro déchet, j’ai reconsidéré ce geste de « jeter » d’autant plus que dans ma vie il y avait un contraste intéressant : je jetais beaucoup et j’étais de plus en plus submergée d’objets…
C’est à dire que d’un côté je mettais hors de « mon moi » ce qui ne le qualifiait pas, ne le définissait plus (en gros toute l’obsolescence, le prêt-à-jeter, tous les objets cassés et à usage unique) et de l’autre, je consommais pour être et pour affirmer mon existence (nous dit Georges Bataille). Mais je me demande bien quel type d’existence ou de projet de vie je cherchais absolument à accomplir en continuant de consommer des vêtements fabriqués par des femmes et des enfants exploité·e·s, des emballages jetables à vau-l’eau, des tampons toxiques, de la vaisselle en plastique et des pailles ? Je consommais sans fin ces objets qui me donnaient la vaste impression de dominer le monde, sans remarquer qu’ils finissaient leur vie au fond des océans… Très intéressant.
Le zéro déchet, en m’incitant à réfléchir en terme de durabilité, m’a aidée à me détacher petit à petit du monde mercantile ultra-consumériste et surtout, d’une sphère familiale malsaine. Vaste projet de vie.

Pourquoi le zéro déchet c’est pour tout le monde
Tout le monde est en mesure de comprendre les enjeux sociaux, environnementaux et économiques qui se cachent derrière le zéro déchet. Mais un engagement militant, comme celui-ci, ou d’autres, fait particulièrement sens chez une personne lorsqu’il touche d’autres valeurs et besoins qu’elle chérie personnellement. J’ai voulu cet article collaboratif, c’est pour cela que j’ai fait appel aux témoignages de personnes engagées dans le zéro-déchet, sur les raisons qui les poussent dans cette démarche et ce que cela provoque en elles (appel lancé sur Instagram le 6 août).
Le besoin de contrôle, de maîtrise et de pouvoir
« Je fais ce que je veux, comme je le veux »
Marjorie parle de contrôle comme d’une reprise d’un pouvoir citoyen par la consommation : « Que ce soit pour la planète ou pour des questions de santé, je veux faire mes propres choix et montrer au monde que c’est possible. »
Le besoin d’engagement social
La récente démission de Nicolas Hulot, en charge du ministère de la transition écologique et solidaire, témoigne bien-sûr du pouvoir des lobbys mais surtout du manque de courage et de l’incapacité systématique de certaines politiques à se projeter dans le futur. Il est nécessaire, dès maintenant, d’agir pour un changement de société ! Je ne suis ni purement survivaliste (il faut se débrouiller sans l’État), ni purement adepte des « petits pas » (la somme des Colibris va sauver le monde). J’ai surtout une conscience aiguë des forces et des pouvoirs en jeu et de l’extrême nécessité et urgence d’avancer ensemble : citoyen, politique, industriel et média. Ma rencontre avec Alternatiba m’a démontré encore plus fortement qu’il est nécessaire de se structurer autour des enjeux du climat !
Le besoin de liberté
C’est Agathe qui en parle le mieux : « Aujourd’hui, ce qui me prend la tête, ce n’est pas de faire du zéro déchet, c’est cette quantité d’objets qui m’entourent et toutes ces vidéos qui circulent sur les océans de plastique. On pourrait penser que la poubelle qu’on jette elle ne nous entoure pas vu qu’on la jette hors de notre vue. Mais j’ai tendance à penser qu’il y a un rapport de proportionnalité entre le poids de notre poubelle et la quantité de choses qui restent dans nos placards. C’est pourquoi trier régulièrement mes vêtements et boire dans ma propre gourde sont deux actions qui m’apportent le même sentiment : un sentiment de soulagement et de liberté. Je suis libre des vêtements que je transmets à d’autres et libre de la bouteille plastique que je n’ai pas acheté. »

Le besoin de vérité
Rien que sur notre smartphone, nous avons accès à un contenu informatif massif. Personne n’est passé à côté de la vidéo de la tortue avec une paille dans le nez ou des photos de ces oiseaux morts le ventre plein de plastique ou de ces informations sur la toxicité du plastique en contact alimentaire. Le besoin de vérité nous amène à vouloir savoir pourquoi ces choses là arrivent. Et la vérité n’est pas jolie : surconsommation, pollution, désengagement politique et citoyen… De mon côté, entre l’accès au savoir et le passage à l’action concrète, il s’est passé quelques mois. Et finalement, aujourd’hui, avant d’acheter quelque chose j’y repense à deux fois car je suis plus éduquée et informée de la conséquence de mes actes qu’avant. Mais attention, ça ne m’empêche pas d’avoir mes contradictions, qui sont le lot de tout le monde finalement, par contre ça me donne le loisir de réfléchir et de comprendre pourquoi je fais les choses (et donc qui je suis).
La volonté de se recentrer, de redéfinir ses besoins et ses choix
« Limiter mes déchets me permet de prendre conscience de la valeur des choses et d’avoir donner un sens à ma consommation, de mieux la maitriser en sachant ce que j’achète. J’ai l’impression d’être plus éveillée. » NoadeCoco
Pas de zéro déchet sans travail d’introspection (et pas que de la poubelle ménagère). C’est un processus qui prends du temps, mais que j’ai trouvé, et que je trouve toujours, passionnant ! Cela suppose de se poser des questions du type « Est-ce que, sachant ce que je sais sur la situation environnementale, cet objet, cette consommation, ces choix quotidiens, m’apportent un état de satisfaction ? ». Et on peut aussi pratiquer le zéro déchet au niveau relationnel, en cherchant à développer des relations vraies et authentiques et à accorder moins de crédit aux autres.
La quête de simplicité
C’est un argument qui revient souvent et qui se comprend. Nos vies sont devenues si rapides et si complexes que nous cherchons à les alléger par tous les moyens.
« Il était grand temps de se recentrer sur l’essentiel : acheter moins, mais acheter mieux et arrêter de suivre tel un mouton de Panurge ce qui nous était dicté par la société, la pub comme étant la (seule) façon de faire. » Caro Famillecousca_zerodechet
L’envie de limiter son impact environnemental
La prise en compte des générations futures, des autres populations et la compréhension de notre interdépendance sont généralement des facteurs qui amènent à consommer bio, local, de saison et de seconde main. Soudain, la conscience de « faire du déchet » peut être traumatisante. Je l’ai moi-même expérimenté et j’en parle dans un article sur mes illusions. D’où la nécessité de ne pas s’isoler dans sa démarche car la charge de changer la face du monde est bien trop lourde pour une personne seule et isolée (ce qu’a rappelé Nicolas Hulot dans son interview).
L’envie de protéger
Son humanité, son quartier, ses proches, les animaux… « Je veux laisser une planète propre à mon fils. » La maman de Kenzo

L’envie de créer, de partager, de transmettre
« Je partage avec les plus curieux mes pratiques. Et voir des collègues chercher d’eux-mêmes leur boite en plastique au moment d’aller chercher notre repas au food truck, est une véritable joie. » Agathe de Kohereco
« J’ai rencontré de très belles personnes en achetant local et vrac chez des maraîchers, dans les bulk sotre et directement chez des producteurs. » NoadeCoco
N’oublions jamais que nous sommes des animaux sociaux. Le changement ne peut pas se faire seul·e mais se fera avec les autres. Pourtant il arrive que « les autres » ne soient pas toujours (encore) prêt·e·s. NoadeCoco le confirme : « Ce n’est pas toujours facile car mon entourage proche n’est pas sur la même longueur d’ondes que moi et j’ai parfois l’impression d’être en décalage. Mais les gens sur Instagram, par exemple, m’inspire et me motive à poursuivre. »
Alors même si vous n’avez personne dans votre entourage qui pratique le zéro déchet, vous ne pourrez pas passer à côté du nombre croissant de pages sur les réseaux sociaux, de blogs ou de hastag à suivre et tout cela témoignent d’une envie de montrer comment « faire du zéro déchet ».
La présence numérique du mouvement a de fortes chances d’influencer le plus grand nombre, de faire gagner la démarche en puissance et en légitimité et surtout de favoriser des rencontres entre des personnes qui ont des points communs ! De mon côté, un mois avant le début de mon projet en Finlande, j’ai tapé #zerowastefinland dans Instagram et aujourd’hui je peux voyager dans tout le pays à la rencontre de ces personnes formidables que je ne connaissais pas il y a quelques mois ! Le zéro déchet est, pour moi, devenue une véritable communauté, voire une famille.

Le zéro déchet ne m’aura pas guéri de toutes mes peurs, incapacités, vices et « défauts ». Cependant, cette nouvelle conception de la vie aura eu un effet positif chez moi et m’aura permit de prendre soin de ma vie en reprenant ma liberté et tentant de réparer certaines injustices que j’avais vécu. J’ai l’impression d’avoir plus de cartes à jouer aujourd’hui.
Avez-vous vécu des choses similaires ? Je vous propose deux « matières à penser » auxquels vous pouvez répondre en commentaire.
- Et si le bonheur ce n’était plus crouler sous les objets, mais posséder le (surplus) nécessaire afin de…
-
Pour moi le zéro déchet me permet de…
Merci pour cet article très intéressant. Le zéro déchet participe des actions/décisions qui me permettent d’être en accord avec mes convictions, d’être cohérente avec moi-même. Il me permet de me sentir libre de mes choix (le consumérisme n’est pas de mon point de vue un choix), d’être satisfaite de ce que j’accomplis, de consacrer plus de temps aux choses essentielles et de ne pas avoir besoin de travailler plus pour dépenser plus 😊
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Merveilleux !!
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Je suis loin du zéro déchet même si je suis sensible à ce mouvement (et que je ne mange plus de viande depuis 15 ans, que j’achète très peu de vêtements, de chaussures, que je n’ai eu qu’un téléphone mobile neuf dans ma vie, que je recycle depuis mon enfance dans les 80’s, que je composte et que j’achète en vrac et bio depuis plus de 10 ans, etc, etc.) C’est important de réduire ce qu’on peut mais la quête de perfection peut mener à encore plus de stress (déjà qu’on souffre d’éco-anxiété!). La consommation à outrance masque souvent un vide intérieur. Tant que ce sentiment de vide intérieur n’est pas résolu, les personnes consommerons plus pour se donner de la valeur, par comparaison, pour remplir un manque affectif, pour faire comme les autres… Ne pas suivre le modèle dominant demande de la force intérieure et tout le monde ne l’a pas!
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Merci pour ton soutien 🙂
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