Une citadine à la campagne

Une citadine à la campagne : remise en cause d’un système de pensée

Voici une semaine que j’ai lâché mon statut de citadine sédentaire pour celui de fermière. Ce n’est pas une évidence pour moi et cela s’explique par mon histoire familiale. Je suis née hors-sol, dans le cadi d’un fameux distributeur, entre les conserves, le pain de mie, l’eau en bouteille et les surgelés. Et mes grands-parents ne m’ont pas apporté autre chose non plus. Alors la ferme, connais pas.

Le plus proche que je m’en sois approchée, c’est lorsque j’ai commencé à manger de bons produits locaux quand j’habitais en Irlande puis plus tard quand j’ai emménagé à Orléans. J’ai réalisé qu’il y avait une vie possible sans supermarché mais que surtout, en allant au marché je voyais des gens ! Les gens qui se levaient tous les jours très tôt pour que je puisse manger. Et ça, ça n’avait pas de prix. J’avais envie de récompenser leurs efforts et de leur offrir la possibilité de pouvoir vivre de leur métier. Je trouvais aussi que c’était aussi très important que l’argent que j’avais en poche, ne file pas tout droit vers les îles Caïman mais puisse bénéficier à quelqu’un en local. Et ce faisant, j’accordais plus de crédit à l’endroit où je vivais. Mais le bénéfice ultime, c’est la ritualisation positive. En allant régulièrement au marché, je suis devenue « Justine », on me faisait des ristournes (puisque j’avais mes sacs et boites zéro déchet !) et, en cas de galère, on me faisait crédit plus facilement.

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Oignons sans la peau – emballés dans du plastique

De retour à la ferme finlandaise !

Ici je me lève relativement tôt, je m’habille en fermière avec tissu sur la tête, chemise d’homme, pantalon et bottes (selon les travaux) : je cueille des fraises, je les tranche pour les sécher, j’enlève les mauvaises herbes autour des petits pois, je récolte les petits pois, je lave des tapis à la main… C’est là où j’ai commencé à me demander ce que travailler signifiait vraiment. Pourquoi je travaille ? Pour qui je travaille ? Quelle valeur, quel sens cela a-t-il ?

Je suis née dans un environnement où l’on considère qu’il faut « gagner sa vie », qu’il faut « avoir un métier » et que tout le reste « ça occupe c’est déjà ça ». Autant vous dire qu’en me lançant dans le zéro déchet et la radio avec la volonté de pouvoir vivre de ma passion, on m’a dit que ce n’était pas un travail et je suis passée pour une belle fainéante qui ne fait rien de sa vie. Merci la famille, on vous rappellera (ou pas).

J’ai une répartition très personnelle des termes linguistiques concernant ce sujet :

  • Un boulot est pour moi un job alimentaire ou un temps partiel qui me permet d’avoir des apports financiers réguliers. Généralement je le choisis parce que je l’aime bien, mais je ne passe pas mon temps à en parler : baby-sitting, périscolaire, vendeuse en magasin
  • Le bénévolat ou le volontariat m’engage dans quelque chose qui m’apporte du plaisir, de la légèreté et qui n’a pas, à mes yeux, besoin de la totalité de mon engagement (les associations Radio Campus Orléans et Astrolabe ou la chorale militante dont je fais partie)
  • Le militantisme, c’est du bénévolat avec une dimension « politique », une vision pour changer le monde (zéro déchet)
  • Le travail c’est quand j’ai la sensation de passer beaucoup de temps sur quelque chose, que je donne toute mon énergie et ma disponibilité intellectuelle pour cela alors même que ce n’est pas forcément rémunérateur financièrement (les évènements La Semaine de la Transition ou La Balade des Gens Zéro que j’ai co-organisé, ma micro-entreprise Les Mouvements Zéro avec les émissions de radio, le blog, les ateliers, les conférences…).

Mais ceci est ma vision citadine de la chose. La vie à la ferme m’apporte quelques points complémentaires. En ville, en tant que salariée quand on se lève le matin on va vendre sa force et son temps pour faire tourner une économie que l’on ne comprend pas toujours, et ce contre de l’argent qui nous servira à manger, nous loger et surtout (dans nos sociétés de privilégiées consuméristes de l’instantané) à nous divertir.

Dans cette petite ferme où je vis actuellement, quand nous nous levons le matin, c’est pour « faire tourner la ferme ». Majoritairement on garde notre temps et notre force de travail pour nous-même. Bien-entendu, nous ne sommes pas dans un hors système, c’est simplement que la motivation du matin, n’est pas la même.

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Rob Greenfield a contribué a faire évoluer ma vision du travail – Photo : Florian Belmonte

La ville et la ferme sont souvent opposées dans les esprits. Pire, si la ville dénigre la ferme elle ne survit pourtant que grâce à elle. Là où je vis, ils sont très riches et je ne parle pas forcément d’argent. Ils sont propriétaires de 17 hectares de terrain : 3 pour la ferme et 14 pour la forêt (donc des ressources en bois pour le chauffage, le sauna et la cuisine, des champignons, des myrtilles, des airelles rouges), 5 sources d’eau pures (ils ne payent donc aucune taxe en eau), un superbe tas de fumier, des fraises, des pommes de terre, des petits pois, des tomates, du concombre, des carottes, du chou, des navets, des oignons rouge et blanc, panais (et je ne les cite pas tous), des chèvre et des poules pour le lait et des œufs (nourris en zéro déchet avec les produits de la ferme et les restes de repas) et surtout, un sauna quasiment chaque jour ! Je pense que la quasi autonomie alimentaire (il reste le supermarché pour la farine, sucre et autres) et énergétique (ils ne payent que l’électricité) est une grande force.

Les villes favorisent un état d’esprit majoritairement individualiste. Il est facile de penser que tout nous est dû puisqu’il n’y a plus qu’à se servir au supermarché et payer en carte bleu. Avec la ferme, je comprends que les choses ne viennent pas de nulle part. C’est un travail pénible, qui prend du temps, demande de la patience et qui est ingrat : le temps peut faire tourner une récolte, on se fait piquer de tous les côtés par les moustiques, les taons et compagnie, on a mal au dos et aux jambes et on dort peu. À la ferme, on augmente clairement sa capacité à la frustration et l’on apprend la persévérance.

Et l’avenir alors ?

À mieux y penser, je choisirai bien un mode de vie mixte. Car d’un côté le système fermier purement familiale a aujourd’hui peu de chance de survivre mais à l’inverse nous savons que le système de sur-exploitation des terres arables n’est absolument pas viable non-plus ; et de l’autre, la génération des trentenaires sur le marché du travail actuellement sont majoritairement en grande remise en cause du système et de sa perte de sens. Des fermes urbaines communautaires où l’on travaillerait à mi-temps pour produire sa nourriture, c’est peut-être ça l’avenir ?! En tout cas il me semble qu’il devient absolument nécessaire de savoir produire sa nourriture, la cuisiner et la conserver.

Bonne nouvelle ! Ce décloisonnement ville-ferme existe déjà avec des mouvements comme les jardins partagés ou Les Incroyables Comestibles qui proposent de reprendre possession des espaces verts de la ville pour y faire pousser de la nourriture à partager. Un premier pas vers la résilience des territoires, l’autonomie, le local et le zéro déchet !

En ce moment je pense beaucoup à l’autonomie, c’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles je fais du woofing en Finlande. C’est un pays aux conditions extrêmes et encore majoritairement rural. Je pense aussi beaucoup à la collapsologie ou au survivalisme mais je n’ai pas encore écrit à ce sujet sur le blog mais j’en parle en radio.

Et vous, avez-vous déjà fait du woofing ? Travaillez-vous dans une ferme ? Êtes-vous citadin·e ? Les aventures à la fermes sont à suivre en images sur Instagram et Facebook !

*Woofing : travail à la ferme en échange du gîte et du couvert

7 réflexions sur « Une citadine à la campagne »

  1. Je suis fonctionnaire à Orléans mais originaire d’un petit village de Vendée proche de la forêt. Ma maman m’a fait découvrir cette nature, le jardinage et me débrouiller de mes 10 doigts. J’ai vécu 10 ans il y a longtemps avec un agriculteur mais version rendement. Il y a 3 ans j’ai fait 2 étés en woofing en Auvergne et Morbihan en maraîchage bio. Ça d’ailleurs amusé Nicolas de savoir que j’étais fonctionnaire qui est à 80% derrière un bureau et que le seul outil utiliser est une souris en plastique. Je me fais d’ailleurs taquiner par mon beau père quand ayant bricolé, j’ai des ampoules.

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    1. Merci pour ton témoignage ! Pour éviter les ampoules je mets des gants. Obligée !

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  2. Salut Justine ! Juste pour te signaler qu’il y a un paragraphe dupliqué de part et d’autre de la photo des « oignons nus » (ah ah !). Pendant la canicule ils vont quand même au sauna ?

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    1. Merci ! C’est corrigé !
      Ça à l’air dingue, mais OUI ils font quand même du sauna pendant la canicule. Ils ne se sentent pas propre sans le sauna !

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