Qui porte la culpabilité des déchets ?

S’interroger sur les déchets, c’est s’interroger sur l’humanité, nos modes de production et nos interdépendances en tant qu’espèce vivante. Les déchets appartiennent à tout le monde et à personne à la fois. Les déchets n’ont pas de sexe, pas de condition sociale, pas de race, pas de religion, pas de couleur de peau, pas de tendance politique, mais les déchets ont une odeur… celle de la culpabilité.

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Paris – lors d’une balade en bords de Seine

Dis moi ce que tu jettes – je te dirais qui tu es

S’attaquer aux déchets, c’est s’attaquer à la poubelle c’est-à-dire à cet espace qui renferme tout ce dont un individu se déleste, tout ce qu’un individu cache aux yeux des autres, tout ce qu’il n’assume pas. Regarder la poubelle de quelqu’un, c’est le deviner. Les ripeur·euse·s ont un pouvoir que nous soupçonnons à peine : celui de voir (et de sentir) ce que nous n’assumons pas, mais qui fait bien partie de nous.

FLASH NEWS du 30 février – Les éboueurs de Marseille sont en grève !

Journaliste : Monsieur et Madame Martin vous sortez votre poubelle dans la rue, comme à votre habitude. Mais cette fois vous êtes désemparé·e·s, c’est bien vrai ?

Monsieur et Madame Martin : Olàlà, oui, nous comprennons les revendications des éboueurs, mais quand même nous payons pour un service. Là ça s’entasse et ça sent mauvais…

Journaliste : Eh oui, comme nous vous comprenons, car comme beaucoup de français Monsieur et Madame Martin paye environ 200€ de service poubelle par an ce qui, en toute logique monétaire, leur donne le droit de jeter n’importe quoi et d’exiger que les éboueur·se·s se dépêchent de retirer de leur vue ce qu’il·elle ne veulent plus voir.

Eh oui, ceci n’est pas une fake news : l’argent paye la déculpabilisation.

Quelque part, Monsieur et Madame Martin ont raison. Quand on paye pour un service, nous sommes habitué·e·s à ce qu’il soit rendu. Mais il est aussi là le problème. Personne ne semble faire le lien entre les déchets qui s’entassent dans la rue, la production des déchets par les industriels et la consommation des gens qui se plaignent. Peut-on se plaindre que quelqu’un ne s’occupe pas de nos déchets ? « Mais c’est leur travail ». OK, mais au-delà de ça ?

On parle de choses jetées (et donc achetées en premier lieu), de choses non assumées par nous-mêmes et nous attendons que quelqu’un d’autre règle le problème ? Pourquoi ne traite-t-on pas dans les médias de la nécessité d’adapter sa consommation et ses comportements en situation de crise (la grève des ripeur·euse·s, mais aussi… la grande crise écologique) ? Pourquoi ne pas arrêter de jeter n’importe quoi et de s’en plaindre par la même occasion ? Ah, mais en fait… oui… ça y est. Je vois le problème : demander aux gens de faire moins de déchets, c’est prôner la responsabilité individuelle tandis que le système fait masse et soutient la surproduction, l’infrastructure des réseaux de distribution. Finalement, tout le monde se dédouanent tranquillou… Et c’est ce dont je veux parler aujourd’hui. Le nœud du problème des déchets c’est la responsabilité.

Maman c’est pas ma faute, c’est lui qu’a commencé

Bienvenue dans le monde merveilleux des déchets ou personne, personne ne veut en être responsable. Parfois par mauvaise foi et parfois par méconnaissance. Ainsi, je vous propose de rétablir quelques éléments dans quatre listes non-exhaustives des responsabilités…

100% de responsabilité individuelle (comme Monsieur et Madame Martin)

  • J’achète parce que je suis la proie des publicités
  • Je n’ai pas de magasin en vrac ou de marché de producteur proche de chez moi
  • La grande distribution me simplifie la vie
  • Jeter coûte moins cher que réparer alors je jette
  • Je bois de l’eau en bouteille de plastique soit parce que je pense que c’est mieux
  • Je vois de l’eau en bouteille parce que l’eau de ma commune est polluée (à cause des pesticides des champs)
  • J’exprime ma colère et veut « punir » mon agglo / métropole / communauté de commune en triant mal mes déchets, en faisant des dépôts sauvages et en polluant

100 % de responsabilité des industries

  • Je délocalise mes industries dans le monde parce que je refuse de payer des taxes dans mon pays et d’en soutenir l’économie
  • J’exploite des humains qui n’ont pas les moyens de refuser mes offres et je fais croire à tout le monde qu’ils ont besoin de moi
  • D’ailleurs, j’exploite aussi des animaux et les ressources naturelles sans que cela ne me pose problème
  • Je paye très cher des publicitaires pour jouer sur les réflexes psychologiques de l’espèce humaine (la peur, l’amour, la reconnaissance, l’appartenance…)

100 % de responsabilité des distributeurs

  • Je privatise l’offre alimentaire sur le territoire où je m’implante
  • Je contrôle les conditions de vie des producteur·trice·s
  • Je tue le commerce local tout en faisant croire que je participe à créer des emplois

100 % de responsabilité du monde politique

  • J’offre leur part du gâteau aux lobbys de l’exploitation (humaine, ressources naturelles, animales…)
  • J’applique le modèle économique des années 70 qui dynamise l’économie en maintenant des emplois qui nécessitent de facto une obsolescence programmée des objets
  • Je soutiens d’avantage l’agriculture conventionnelle que bio alors que cette première détruit le vivant
  • Je favorise l’implantation sur mon territoire de grandes marques qui ne brillent par par leur éco-responsabilité (Nespresso, Starbucks, Macdo…)

J’ai souhaité compiler une petite liste pour mettre un terme à la légende qui voudrait que si le monde va mal, c’est de la faute des individus qui font de mauvais choix de consommation. Breaking news : même si j’achète un riz de Camargue en vrac dans mon épicerie bio de proximité, la marque machinchouette continue quand même de vendre du riz vietnamien emballé dans des sachets cuissons individuels… Sam Walton, le fondateur de Wallmart disait : « Il n’y a qu’un patron : le client. Et il peut licencier tout  le personnel, depuis le directeur jusqu’à l’employé, tout simplement en allant dépenser son argent ailleurs. ». Sauf que c’est pas vrai en fait. Le 100% boycott est une illusion en laquelle j’ai moi-même cru. Les supermarchés savent aussi très bien adapter leur offre à tous les types de publics : les bobo-écolos trouveront des objets zéro déchet, les véganes des steak de soja et les prolétaires des offres familiales…. Et ils continuent de multiplier les contrats d’exclusivités tuant les commerces locaux et de proximité qui nous oblige à acheter chez eux (soit-disant ça créée de l’emploi…), en pratiquant des prix cassés et en développant l’accessibilité au e-commerce. Bien vu l’aveugle.

Loin des yeux loin du cœur : le zéro déchet pour ouvrir les yeux

« C’est facile de consommer devant sa télé, mais après on ne sait pas où les déchets vont » (extrait du film Waste Land)

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La démarche zéro déchet a cela d’intéressant qu’elle réinterroge sur la responsabilité du déchet (qui est partagé à 100% comme nous l’avons vu) et les choix individuels. Être zéro déchet c’est, à son échelle, refuser de financer les industries malsaines et polluantes et refuser de se sentir coupable des dérives du monde. Mais gare à la généralisation de cette vision simpliste (voir pensée magique), car la réalité des choses, pour peu que nous prenons la peine de les regarder en face, nous rappelle à l’ordre : même si j’y crois très fort, seule, je ne peux pas changer le monde.

Rob Greenfield est un activiste pour l’environnement qui se lance souvent des défis un peu fous. L’un d’eux était de consommer comme un américain moyen durant un mois (lui qui est presque zéro déchet) et de porter, littéralement, sur lui, les déchets consommés. Il s’agissait de les montrer, de les assumer et de pouvoir sensibiliser autour de lui à la force des choix de consommation personnels. Le résultat est assez édifiant et l’expérience serait drôle à mettre en place avec un patron de Mac Do ou de Starbucks…

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Le choc des déchets amène parfois à une réflexion globale, à une consommation locale, bio et raisonnée. Mais pas toujours. Faire son zéro déchet tout·e seul·e de son côté, c’est déjà ça bien sûr. Peut-être même que cela changera le monde lentement. Mais avons-nous le temps ?

Je trouve qu’une démarche zéro déchet à l’échelle personnelle ne dénote pas forcément du capitalisme ambiant qui pousse à l’égoïsme. On ne regarde que sa poubelle, on la photographie sur Instagram et l’on se déculpabilise des déchets produits par les autres.

Blâmez-moi, je suis à la fois juge et partie depuis juillet 2015. Mes déchets d’un an tiennent dans une poche plastique A4 de classeur et c’est le porte étendard de ma démarche. Mais ma force je la tiens de cette contradiction. Je regarde ma démarche et je me dis : c’est bien, mais ce n’est pas assez.

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Dans mon exemple, prenons en compte le fait que j’habite à Orléans centre, qu’il y a 4 magasins de vrac proche de chez moi et des marchés de producteurs tous les jours. Mon exemple peut-être difficilement reproductible ailleurs.

Le mouvement zero waste ou zéro déchet / zéro gaspi, en est à ses balbutiements et se nourrit des mouvements le précédant. C’est pour cela que je ne considère pas le zéro déchet comme une fin en soit. Je n’ai rien inventé. Pour moi, un mode de vie éco responsable a de multiples entrées et ne se limite pas à la poubelle visible de ma maison (8,8% vous vous rappelez ?).

Quand je fais des conférences pour parler d’un mode de vie éco responsable, j’incite les gens à évaluer les forces et les faiblesses de leur territoire : Y a-t-il une AMAP ? Sinon, pouvez-vous créer un groupement d’achats ? Pouvez-vous vous engager en politique pour impulser une nouvelle dynamique (collectif, association) ? Aujourd’hui je prône le « Faisons ce que nous pouvons et pour le reste, changeons le système » et non plus la seule responsabilité individuelle (qui amène aussi à la culpabilisation – ce qui est contre-productif).

Retenons les quelques idées suivantes

  • Les déchets sont liés à notre humanité : pas de déchets, pas de société, pas d’histoire (nos musées sont pleins de déchets)
  • Les industries, distributeurs, politiques, ont eux aussi 100% de la responsabilité
  • En tant que citoyen·ne·s, il nous faut reprendre possession des territoires qui ont été privatisés par les grandes marques de distributeurs qui, en plus de déchets non valorisables, nous vendent de la « merde en boite »
  • Ainsi, lançons des repair café, des ressourceries, des give box, des frigos partagés…
  • En se regroupant en collectif ou en association il est plus aisé de limiter ses déchets (et ceux de son territoire) et de favoriser une dynamique d’économie locale
  • Faire sa part de zéro déchet est une initiative revigorante, mais c’est l’arbre qui cache la forêt : n’hésitez pas à continuer la randonnée à la découverte d’autres initiatives !

Qui porte la culpabilité des déchets ? L’ensemble des parties prenantes d’un système. Et même vous qui lisez cela, car c’est la preuve que vous faite partie du système.

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4 réflexions sur « Qui porte la culpabilité des déchets ? »

  1. Je trouve ton article très intéressant et il a gagné un aller simple et définitf pour ma revue du web d’Avril (parce que pour Mars je viens déjà de la publier, c’est un peu tard^^ !). Cela rejoint complètement des réflexions que j’avais essayé de formuler dans mon article sur la consommation éthique… et je vois que ces temps-ci, plusieurs blogs ont exposé leurs doutes quant à la focalisation sur le zéro déchet (je pense à Manon Godard entre autres, et à des blogueuses qui ont souligné le problème que ça pouvait poser en termes de charge mentale dans le couple, pour les femmes). J’aurais éventuellement une seule petite remarque à faire : quand on dit que c’est « le système » qui est responsable, j’ai peur que les lecteurs.trices trouvent ça flou. Qu’est-ce que « le système » ? La société ? Oui, forcément… Mais comme tu le soulignais plus haut, si de manière générale notre existence même nous fait produire des déchets, l’ampleur que cela prend et le type de déchets que nous produisons aujourd’hui est lié à un système bien particulier, un système capitaliste néo libéral dont les industries gagnent davantage à produire beaucoup quitte à ce qu’une partie de la production soit jetée. Et je pense vraiment que nommer le problème peut contribuer à nous faire réfléchir plus profondément sur les solutions (mais pour le coup tu le formules plus clairement que la plupart des articles que j’ai pu lire !!)

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    1. Bonjour et merci pour ton commentaire 🙂

      La notion de déchet est totalement dépendante de la société (du système) dans laquelle on vit. Et même au sein de l’Union Européenne, où tous les pays sont vraisemblablement capitalistes et néo libéral, des pays comme la Finlande ou la Suède traiteront les flux de matière première secondaire avec une approche philosophique différente. Tant bien que le mode de vie zéro déchet a une résonance tout à fait différente là haut.
      Oui c’est vrai que cela peut paraître flou, plutôt complexe je dirais. Le système existe avec nous et à travers nous.

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  2. Hélas, il faut souvent toucher au portefeuille pour mobiliser plus largement (et encore…). Je parlais avec une chargée de prévention des déchets il n’y a pas si longtemps et elle me disait : « C’est facile de regrouper des gens qui s’intéressent au sujet, mais au-delà…s’ils ne sont pas récompensés au niveau financier, peu de gens se préoccupent du sujet. J’ai pu en faire l’expérience avec une proche qui se plaint de son budget ricrac. A mes suggestions zéro dèche-zéro déchet, elle m’a répondu « Peuh, ce n’est pas avec ça que je vais faire des économies, citant ses produits ménagers qu’elle rachète une fois par an ou le sopalin qui lui coûte 1 euro par mois ». Je l’ai renvoyé vers cet article de la maison, le corps, l’esprit (http://lecorpslamaisonlesprit.fr/voila-comment-jai-economise-1700ean-en-changeant-mon-mode-de-vie/). C’est resté lettre morte. Comme le dit Pablo Servigne dans son manuel de collapsologie, beaucoup de gens ne bougeront pas le petit doigt tant que les autres ne s’y mettront pas en masse. Malgré l’extrême urgence…la puissance du déni est là.

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    1.  »La puissance du déni »… ça raisonne tellement fort en moi !

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